Réactions et commentaires

Après la proclamation de la République en Tunisie

27 -7 -1957

On trouvera ci-après un certain nombre de commentaires qui nous sont parvenus depuis la rédaction du président numéro d’Articles et Documents (Problème» d’Actualité).

Opinions arabes

A propos du futur gouvernement tunisien, l’hebdomadaire néo-destourien de langue française, l’Action (27/7) écrit: « Sur le plan des personnes qui doivent composer le futur cabinet et sur la structure de ce gouvernement, on prote beaucoup d’intentions au président de la Tunisie. « On affirme tantôt que l’ancien gouvernement sera tout simplement reconduit, tantôt que des bouleversements profonds interviendront à la fois dans la structure et dans la composition du cabinet. Bien que, sur aucun de ces deux points, la pensée du président ne soit définitivement arrêtée, il semble très probable que les deux tiers au moins des anciens ministres seront reconduits. Quatre ou cinq seulement seront remplacés ou se retireront. La structure actuelle du gouvernement changera quelque peu mais ne sera pas bouleversée. Il semble exclu que M. Mongli Slim, dont on avait fortement parlé pour le portefeuille des Affaires Etrangères, quitte Washington dans l’immédiat-. En revanche, M. Ben Salah pourrait très bien être de la prochaine formation. « En ce qui concerne le «‹ timing », il semble, à l’heure où ces lignes sont écrites, que le gouvernement ne serait pas constitué avant la» fin de la semaine. On s’attend qu’un mouvement diplomatique accompagne ou suive de peu la formation du gouvernement. A moins que l’été…

Les organes marocains s’élèvent; pour leur part, contre le nouveau régime tunisien.

Dans Al Chab (28/7 — organe du parti de l’unité et de l»indépendance) M. Mohamed Mekki Naciri écrit : « Le peuple tunisien, ainsi que les autres peuples d’Afrique du Nord, ne cessent de placer leur suprême espoir en la personne du Sultan Mohamed V, libérateur du Maroc et ultime refuge des hommes libres de ces pays. « Le peuple marocain réprouve avec véhémence la ligne de conduite que semble prendre Bourguiba et ses adeptes et rejette de toutes ses forces la reconnaissance du régime imposé par Bourguiba ainsi que sa présidence à la tête de l’Etat tunisien frère, car la reconnaissance d’un tel régime dictatorial imposé par la force dans la conjoncture actuelle serait considérée comme un encouragement à l’aggression et l’approbation de ses auteurs. Nous devons lutter contre la politique bourguibienne et aider le peuple tunisien à se libérer de la dictature.

On peut lire dans l›hebdomadaire en langue française Démocratie (28/7 -organe du P.D.I.) : « Le changement du régime en Tunisie est un acte grave. On a voulu le justifier en accablant le vieux bey qui est monté sur le trône dans des conditions, il est vrai, peu honorables›› et qui, durant la lutte de libération a eu des attitudes qui n’étaient pas spécialement favorables au mouvement de libération tunisien; mais ces arguments auraient justifié un changement d’homme et non de régime. « Le contexte politique tunisien qui est marqué par le parti unique et l›inexistence de toute opposition est difficilement conciliable avec l’exercice des libertés républicaines. « On peut craindre le caractère totalitaire et autocratique de la première république tunisienne, le peuple frère tunisien, foncièrement démocratique et progressiste, saura imposer à ses dirigeants le respect de ses libertés et de sa dignité.»

Al Ahd Djadid (27/7) :

« La voie› qu’a suivi Bourguiba n’est pas surprenante. Depuis que la Tunisie a obtenu l’indépendance il brisait toute force pouvant avoir une allure d’opposition. Il a supprimé le parti de l’opposition. Il a condamné à mort, par pendaison, ou à la prison perpétuelle, les chefs de ce parti, ratifié la condamnation à mort de Salah Ben Youssef, qui fut la voix de la Tunisie combattante, le défenseur de son indépendance, qui œuvra Jusqu’aux derniers instants pour faire accéder la Tunisie à l’indépendance totale, alors que M. Habib Bourguiba s’était contenté de la moitié du bénéfice.» Après avoir fait l’éloge de la monarchie tunisienne et déclaré que, si Lamine Bey ne fut pas toujours un « exemple dans le sacrifice et le combat, il était tunisien et voulait le bien de son pays et de son peuple», le journal marocain conclut : « L’affaire, d’aujourd’hui ne va pas dans le sens de l’intérêt général de la Tunisie et ne traduit pas un progrès et un épanouissement du fait de l’abrogation irrévocable du régime monarchique ; elle traduit, au contraire, le désir du leader tunisien de parvenir au fait du pouvoir et de se comporter en maître absolu ». Pour en terminer avec les feuilles marocaines, citons Al Istiqlat (27/7 — organe du parti gouvernemental) qui évoque le changement de régime en Tunisie en termes plus mesurés : « La seule vraie surprise pour les observateurs c’est que la proclamation de la République ne soit pas inter-

Venue plus tôt et c’est aussi, certainement, ce qui est le moins explicable… « Il ne nous appartient pas de juger le fond du problème : il s’agit d’une affaire intérieure qui intéresse le peuple tunisien souverain et indépendant. Il est seulement permis d’émettre une réserve procédure. Bourguiba ne se serait pas diminué aux yeux de ses compatriotes, moins encore des pays étrangères, et tout particulièrement des pays frères, en agissant d’une façon moins désinvolte ».

« On se serait prédire l’avenir de la Tunisie », écrit-le Quotidien libanais An Nahar (26/7) qui ajoute : « Le régime républicain en Afrique du nord sera un exemple a imité s’il parvient à doter peu à peu le pays d’un solide statut démocratique. Il va s’en dire que ce régime entre en quelques sortes en conférence avec ceux des républiques d’Egypte et du Soudan et il s’agit de confirmer les avantages d’un régime particulièrement républicain et de montrer lequel des trois est le meilleure». « Le sucé de la tentative de Bourguiba sera le principale facteur qui doit lui permettre de réaliser ses aspirations : la création de ce qu’il appelle « l’Union de l’Afrique du Nord », y compris la Libye, ou la monarchie est en péril ». Enfin, le quotidien Syrien Al Jumhur (26/7) déclare à propos de la proclamation de la république : « Nous estimons que la transformation de la Tunisie de monarchie en république constitue un immense pas en avant dans la politique de ce pays et nous souhaitons que notre sœur tunisienne sorte victorieuse de la lutte qu’elle mène contre les conspirations de l’impérialisme franco-américain. « Nous bénissons les efforts de ceux qui veulent établir ce régime, et nous espérons qu’il ne ce heurterons pas à aucun écueil, et que les manœuvres de l’occident ne parviendrons pas à faire échouer ce mouvement démocratique. »

Un point de vue communiste

L’organe chinois Kuangming Pao (27/7) écrit à propos de la proclamation et la république en Tunisie : « Il s’agit d’un événement heureux et ceux qui souhaitent maintenir l’Afrique dans un état de somnolence perpétuel et y maintenir un esclavage coloniale permanent, devrons perdre leur illusion. La réalité a montré que l’Afrique avait changé. En dépit des efforts déployés pour empêcher cette évolution, celle-ci s’accentuera et elle intensifiera la lutte pour l’indépendance et la liberté . « La création d’une nouvelle république en Afrique a réjoui tous les peuples d’Afrique et du monde, tandis que les colonialistes français s’en sont affligé. « Le peuple chinois accueille favorablement la naissance de la république tunisienne ; il pense que le peuple tunisien sortira vainqueur de son combat contre le colonialisme, il éliminera tous les maux laisser par le colonialisme et rendra sa république forte et prospère. »

Presse Anglo-américaine

« La nouvelle république a déjà été reçue dans la famille des nations » écrit la New York Herald Tribune (27/7 ­républicain indépendant) qui ajoute : « Ses progrès seront observés avec sympathie et avec l’espoir sincère qu’elle assurera le bien être des tunisiens, la stabilité de leur démocratie qu’elle vivra en bonne intelligence avec les autres pays d’Afrique du nord. »

Le New Yord Times (27-7 indépendant) fait l’éloge du président Bourguiba : « Il est significative que l’idée d’une fédération qui assurerait une solution au problème algérien gagne des adeptes en France. Si la France devait un jour adopter cette solution, le président Bourguiba pourrait fort bien réaliser son désir d’être le médiateur qui la rendrait possible. »

Sous le titre : « Une monarchie disparait », l’hebdomadaire britannique l’Economist (27/7 -Libéral) déclare notamment :

« …Après Farouk, vient le tour du Bey de Tunis que l’Assemblée tunisienne a décidé de remplacer par une république. L’élection de M. Bourguiba au poste de président était attendu : il avait en fait annoncé le changement du régime à l’avance. La décision prise, l’Assemblée ira plus vite qu’elle ne la fait jusqu’à présent pour rédiger une constitution… « C’est à l’étranger, non pas en Tunisie, que la disparition de Sidi Lamine se fera sentir. Pour les sujets républicains du Roi de Libye et du Sultan du Maroc, sa disposition pour céder la place à un président sera un exemple. Il est possible que c’est en néant cette possibilité présente à l’esprit que le Sultan du Maroc c’est prononcé cette semaine d’une façon énergétique et populaire sur l’avenir de l’Algérie. Jusqu’ici il avait employé un langage prudent pour maintenir les français de son côté ; maintenant, il réclame la « reconnaissance » de l’indépendance algérienne. »

« Chute d’un Bey », tel est le titre d’un article que publie l’hebdomadaire Time and Tide, de Londres (27/7), dont voici des extraits : « La fin beylicat de Tunis ne modifiera vraisemblablement la position des autres dirigeants des états arabes. En éprouve une certaine sympathie pour l’idée d’une république au Maroc, mais l’influence personnelle de Mohamed V est très grande et le prestige des deux dynasties et fort différent… « La décision de se débarrassé de la maison du Bey est certainement importante dans la politique intérieur de la Tunisie. On trouvait illogique qu’un pays nouveau et petit, dont le gouvernement est résolu à créer un état moderne progressiste, et qui a aboli récemment la polygamie, permette que demeure au pouvoir une nombreuse famille royale qui, jusqu’à ces dernières temps, ne payer pas d’impôt et jouissait de nombreux privilèges. La famille du Bey constituait un point de ralliement pour les riches propriétaires terriens qui s’opposent à la redistribution des terres et aux projets de réformes agraire du gouvernement du néo-destour. Cela aurait également pu faire le jeu des intrigues futures de l’Egypte contre M. Bourguiba. Après avoir écrasé l’opposition des sections d’extrême-gauche du mouvement syndical, il était naturel que le néo-destour affirme son autorité dans une direction différente… »

Autre commentaires

« Sous l’impulsion du mouvement nationaliste, sans doute le Bey avait-il été contraint, pendant les derniers temps de la présence française, de faire preuve de réserve à l’égard de la France ; mais il n’en était pas l’inspirateur » écrit le quotidien allemand General Anzeiger (26/7 – conservateur) qui ajoute : « Aussi était-il resté à l’écart de toutes les réformes qui avaient marqué le passage du protectorat à l’autonomie interne, et de celle-ci à l’indépendance. Bourguiba est un homme très prudent. Avant de provoquer la chute de la monarchie il avait pris l’avis de ses ambassadeurs. Son but est d’être l’instigateur d’une fédération Nord-africaine. Son rêve ne sera pas facile à réaliser, car la disposition du monarque à mécontenter le Sultan du Maroc et le Roi du Libye. Dans sa patrie même, Bourguiba a triomphé, mais il doit compter avec de nombreux adversaire. La bourgeoisie possédante du pays redoute l’ordre nouveau. »

Die Welt (26/7 – indépendant) exprime une opinion assez voisine : «Le rêve de Bourguiba est de créer une fédération nord-africaine qui englobe non seulement le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, mais encore la Lybie. Plusieurs obstacles s’opposent à la réalisation de ce rêve : l’évolution sans issue du problème algérien, la rivalité de Bourguiba et du Sultan du Maroc pour prendre la direction de l’Afrique du nord. Au Maroc, Mohamed V est le symbole de l’indépendance. Il n’a pas à craindre le sort du Bey de Tunis. L’initiative de Bourguiba a semé le trouble et à provoquer des tentions dans le camp des pays arabes qui tiennent à maintenir leur indépendance vis-à-vis de l’Egypte. » « C’est moins une révolution de la consécration d’un état de paix à quoi vient de procéder à l’Assemblée constituante tunisienne, en proclamation la république » écrit René Baume dans la Suisse (26/7). Et il ajoute : « L’indépendance acquise, le chef du néo-destour rentra à Tunis en triomphateur, et, dès lors, le Bey ne pouvait que rentrer dans l’ombre. Il n’avait pas de place, dans le pays, pour deux têtes. L’Assemblée constituante élue, le premier texte qui en sortit proclamer la souveraineté du peuple. Il ne contenait aucune référence au Bey. Pratiquement, la république était faite. Bourguiba hésitait encore. Il fit reconduire de deux tiers la liste civile du Bey, sans toute fois s’attaquer au trône. A la réflexion, il se convainquit que le rôle du premier personnage de l’Etat serait mieux à sa taille. Le sort du Bey était règler. « La séance d’hier de l’Assemblée constituante était minutieusement réglée. Bourguiba en sort président de la république, mais avec quel pouvoir ? Chef de gouvernement, le Bey ne le gênait pas beaucoup. Il n’aurait, en aucun cas, pu s’opposer à ses violentés. C’est dans ces contactes avec l’extérieur que le chef du néo-destour était gêné d’être, selon le protocole, aux ordres du souverain. Il ne pouvait traiter d’égale à égale avec le Sultan du Maroc ni avec aucun autre chef d’Etat arabe. Président de la république, il est sur le même pied que… « Le plus important sera encore de savoir quel genre de république va se donner la Tunisie. Sur le modèle des Etats-Unis, où le président est à lui tout seul, le gouvernement, ou, comme en France, où l’hôte de l’Elysée ne peut exercer qu’une influence infirme sur le gouvernement ? Dans un jeune Etat indépendant, tout dépend du gouvernement, de ses initiatives et de ses moyens. On voit mal Bourguiba s’installant dans les palais du Bey et laissant toute l’action gouvernementale en d’autres mains, même s’il choisit lui-même son successeur. La déposition du Bey ne semble pas devoir susciter de troubles en Tunisie. La seule question qui se pose est de savoir quels pouvoirs Bourguiba se fera donner. »

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